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D.MATHIEU – L’afro-futurisme comme véhicule d’expression

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D.Mathieu Cassendo est bédéiste et artiste visuelle. Elle s’est faite connaître sur la scène artistique montréalaise grâce à sa bande dessinée La petite suceuse, parue en 2016, et ses nombreuses publications en ligne. Elle a accepté de nous parler le temps d’un tête-à-tête.

Comment décrirais-tu tes personnages? Sont-ils un reflet de toi-même?

Bornés, aventureux, complexes. Ils ont envie de faire résonner leur voix et leurs opinions. Ils représentent tous des parties de moi, oui, dans toutes mes contradictions. C’est donc plus facile de créer des dialogues plus tranchants car souvent je me sens prise dans des dilemmes. Transférer ces émotions à travers des personnages est super le fun. Mon art est un reflet direct de ma personnalité. J’aime aussi donner beaucoup de défauts à mes personnages principaux.

Intéressant, la notion de défaut. Peux-tu nous en dire plus?

J’adore utiliser les défauts car la prise de décision du personnage sera donc biaisée. Ainsi, l’histoire devient imprévisible. Et je trouve ça vraiment le fun. J’apprends encore à le faire. J’essaie de lire beaucoup pour voir comment d’autres auteurs y arrivent.

Tu abordes des enjeux comme le sexisme, le racisme. Quels sont les limites du militantisme en art selon toi?

J’ai commencé à parler de racisme à cause de la BD annuelle sur le racisme qui est publiée en ligne. Personne n’aime parler de racisme. Que tu sois issu.e d’une communauté ethnique ou non. Si tu contournes la problématique en chatouillant un peu les gens, le message passe mieux. Ils apprennent quelque chose mais ils peuvent en rire aussi, se moquer d’eux-mêmes. Rire des racistes est une arme puissante. C’est super important car ce sont des personnes ridicules. Ce sont des enfants mentalement. Il faut arrêter de leur attribuer une crédibilité.

C’est drôle parce que je ne me considère pas militante. Ça ne m’intéresse pas tant que ça. J’essaie de rester humble par rapport aux connaissances que j’ai sur les enjeux sociaux. Mon but est juste d’écrire des histoires de fiction, des histoires qui se passent entre Laval et Montréal, avec des personnages qui s’expriment comme moi, qui me ressemblent. Des gens qui mangent épicé comme moi, des gens gay as fuck comme moi.

Trouves-tu que les artistes de couleur sont souvent limités à ne parler que de sujets touchant leur condition de « Noir.e.s »?

On m’a invité une fois à une émission radio pour parler de la 1ère femme bédéiste au Québec. J’ai réalisé quelque chose d’intéressant suite à cette expérience. Étant donné qu’on ne m’avait pas invité pour parler d’enjeux sociaux, les mots sont sortis tous seuls. J’ai parlé de mon afro-féminisme, de mon côté womanist, j’ai parlé des questions de représentation. C’était le fun parce que ce n’était pas forcé. C’était naturel. Ce sont des aspects qui font juste partie de mon identité. Ce n’était pas imposé. JE me suis permise de le faire. C’est l’avantage d’avoir un certain contrôle.

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Parlant de contrôle, j’ai l’impression que, pour beaucoup d’artistes noir.e.s, il y a une certaine envie/volonté de réinventer la réalité, de la redéfinir, de changer d’univers. Qu’est-ce que l’afro-futurisme pour toi?

C’est un terme que j’ai appris récemment. C’est un de mes mentors qui m’a dit que je faisais de l’afro-futurisme. Mais, en tant qu’artiste, je ne pense pas que ce soit ma job de décrire les choses que je fais. Si on l’associe à ça, je me dis juste “good for the people”. Je pense qu’on est très ancré dans la réalité en tant que personne noire. En fait, on n’a simplement pas le choix. De rester les deux pieds sur terre et la tête bien vissée. Par contre, c’est important de s’élever un petit peu et de sortir de cet univers-là. On va se le dire, les Blancs ont le privilège de ne juste pas penser à la vie. Souvent j’entends mes amis blancs parler de leurs problèmes et je me dis que j’aimerais avoir ce genre de problème! Donc oui, c’est plus que nécessaire, c’est vital de donner ce souffle-là aux nôtres, de leur permettre de s’imaginer une autre réalité. À travers mes écrits, je tiens à illustrer un éventail de complexité des personnages. La plupart de mes personnages sont noirs et c’est voulu. J’aime les gens noirs. Je nous trouve beaux et super intelligents.

À quoi es-tu confrontée au quotidien en tant que femme noire, queer, qui parle fort, dans l’univers de la BD ici au Québec?

Je pense que les blancs québécois qui lisent de la BD ont soif de découverte d’univers différents. La tranche d’âge est déjà assez grande, ça va de 8 à 45 ans. La BD n’est pas nécessairement bien vue. C’est comme l’enfant bâtard du milieu littéraire. Donc, si tu lis de la BD en étant adulte, ça veut dire que tu as déjà une certaine ouverture d’esprit. Quand j’ai commencé à faire mes entrevues pour expliquer mon projet, mon art, j’avais beaucoup de support venant de personnes blanches. Ils avaient très hâte de voir ce qu’il en était. Ils avaient aussi le désir de découvrir d’autres narratifs. Même si l’univers de la BD québécoise est hyper intéressant et hyper riche, ça reste très local. Par contre, il y a aussi l’envers de la médaille. Il y a des hommes blancs qui m’ont dit que j’avais l’air intimidante sur Internet. Interesting but it’s low key racist! Je ne suis pas intimidante, tu es intimidé. Nuance. Il y a plusieurs types de racistes mais ceux avec les « bonnes intentions » me font particulièrement rire, je les trouve cute. C’est plus facile d’avoir des conversations avec eux.

Si tu devais refaire Montréal, qu’est-ce que tu enlèverais? Qu’est-ce que tu rajouterais?

La première chose que j’enlèverais, ce serait la fucking roue à Montréal-Nord. Je mettrais un périmètre de sécurité pour la faire exploser! Ce serait un spectacle artistique. Je pense que les gens sont le reflet de leur environnement direct. Si tu habites dans un trou, tu vas te sentir comme un trou et tu ne vas pas vouloir prendre soin de ce trou-là. Je voudrais re-pimper toute la ville, rendre ça artistique d’une manière bourgeois-esque. Dans tous les quartiers. L’idéal ce serait aussi que tout le monde puisse prendre soin de l’environnement, histoire de revenir à la base. À partir du moment où l’art et la propreté seront installés, ça va changer la façon de penser de beaucoup de personnes. Si tu mets un pauvre dans une maison de riches, il va se sentir riche instantanément.

Par Marie-Ange Zibi

Marie-Ange Zibi travaille au sein du milieu culturel québécois depuis plus de 6 ans et détient un diplôme en journalisme. Passionnée par l’art sous toutes ses formes, elle se sert de ses écrits pour mettre en lumière les nombreuses problématiques culturelles qui façonnent la société actuelle.

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