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Devoir prouver son orientation sexuelle: une question de survie

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Comment attester qu’on est lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre? Pour certains membres de la communauté LGBT, la preuve de leur sexualité ou de leur genre a été essentielle pour fuir leur pays d’origine et venir vivre en sécurité au Canada.

« Je suis venu ici pour préserver ma liberté. Si on te soupçonne d’être gay au Cameroun, ton frère peut te tuer. » Martin (nom fictif), est arrivé au Québec il y a un peu plus d’un an en tant que demandeur d’asile. La quarantaine, un visage poupin qui lui donne 10 ans de moins, il parle calmement de son expérience pourtant singulière et tragique.

Comme Martin, les réfugiés queer ou allosexuels fuient leur pays en raison des persécutions qu’ils subissent du fait de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. « Ce sont des personnes aux parcours très difficiles », dit Lani A. Trilène, intervenante responsable du volet immigration au Centre de solidarité lesbienne (CSL). « Quand on ne parle pas d’agressions physiques ou sexuelles, on parle d’insultes, de discrimination ou de menaces de mort. Ces personnes ne sont pas en sécurité dans leur pays d’origine. »

Bien que Martin ait depuis longtemps su – et surtout, caché – son attirance envers les hommes, sa vie a pris un tournant angoissant lorsqu’il a été surpris avec son partenaire de l’époque. « On nous a violenté, on nous a traîné au commissariat de police. Nous avons tout nié, et comme ils n’avaient pas assez de preuves, on nous a relâché. » À partir de cet incident, Martin savait qu’il n’était plus en sécurité. « À tout moment, je pouvais subir d’autres violences. Dès qu’on est identifié en tant qu’homme gay, tout le monde le sait. J’ai été obligé de me replier sur moi-même. »

Crédibilité sexuelle

Les demandeurs d’asile doivent remettre un texte exposant les fondements de leur requête 15 jours après leur arrivée au Canada, et se présenter à leur audience devant la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié (CISR) généralement 60 jours après le dépôt de leur demande. Pour Éric Taillefer, avocat en droit de l’immigration chez Handfield et associés qui compte parmi ses clients plusieurs demandeurs d’asile LGBT, ce laps de temps est très court pour établir une relation de confiance avec son client : « La particularité de ce genre de dossier, c’est qu’ils sont plus émotifs; on va creuser dans le passé de la personne, faire ressortir ce qui est difficile avec des mots. »

Mme Trilène déplore également le peu de temps qu’elle a pour préparer des demandeuses d’asile lesbiennes, son travail consistant à les aider à reprendre leur histoire, à bien s’exprimer pour leur audience. « Au début, elles sont comme des huîtres, elles ont peur de raconter, de s’ouvrir ».

En effet, si Martin parle aujourd’hui assez ouvertement de son expérience, il n’a pas toujours été aussi à l’aise de parler d’homosexualité. Quelques semaines après son arrivée au Québec, il a dû raconter son histoire à une travailleuse sociale pour se préparer à son audience à la CISR, qui a eu lieu environ deux mois plus tard.

« [La travailleuse sociale] m’a demandé si j’étais gay, et j’ai baissé les yeux. Je ne savais pas que ça pouvait se dire juste comme ça. On n’en parle pas dans mon pays. »

Il peut être d’autant plus difficile pour ces réfugiés de parler de leur sexualité qu’ils ont dû la cacher pendant une bonne partie de leur vie. Ce sont pourtant à des questions sur la nature même de leurs sentiments et de leurs relations (émotionnelles, mais aussi intimes) avec des personnes du même sexe que les demandeurs d’asile doivent répondre.

Mme Trilène et Me Taillefer insistent d’ailleurs tous deux sur l’importance de la crédibilité des demandeurs d’asile, et ajoutent qu’il peut être difficile de faire comprendre aux décideurs qu’il n’existe pas de profil typique d’un réfugié LGBT. « Certains se sont mariés avec un personne du sexe opposé, ont eu des enfants, et, à 30 ans ou plus, réalisent qu’ils ne sont pas hétérosexuels », explique l’avocat, en insistant sur la nécessité de défaire les stéréotypes que pourraient entretenir les commissaires sur la vie du demandeur d’asile dans le pays d’origine.

C’est le cas de Martin, qui a été marié à une femme pendant plus de 10 ans, et avec qui il a eu deux enfants. « Lors de l’audience, on m’a demandé comment un gay peut avoir une femme et des enfants. C’était surtout pour lever l’équivoque à mon sujet. Il y a des choses que les autres faisaient, comme flirter, aller avec des femmes, que je ne faisais pas, et ça se remarquait », explique-t-il, en précisant que ce sont ses parents qui avaient arrangé ce mariage pas heureux.

Coming out et visibilité

« Certains décideurs prennent également pour acquis que, puisque ces personnes viennent d’un pays où l’homosexualité doit rester cachée, elles vont être tellement contentes d’être ici qu’elles vont faire le party, sortir dans le Village tous les soirs… mais ce n’est pas nécessairement le cas », ajoute Me Taillefer.

Laurent Lafontant, directeur adjoint chez Arc-en-ciel d’Afrique, observe également que les réfugiés et les demandeurs d’asile membres de l’organisme – plus de la moitié des 200 membres d’Arc-en-ciel auraient ce statut – fréquentent peu le Village gay. « Ce ne sont pas les mêmes références, pas la même façon de parler d’homosexualité. Ça peut être très cru, très visible dans le Village – parfois ça peut être très intimidant. Ça demande du temps de s’intégrer dans cette culture. »

Selon Florence Marchand, dont le projet de maîtrise en travail social porte notamment sur la visibilité et le coming out des femmes ethnosexuelles à Montréal, les enjeux de reconnaissance et de visibilité sont liés à la culture occidentale blanche. « Les besoins ne sont pas nécessairement les mêmes pour les [réfugiés], indique Mme Marchand. Il y a moins de besoins de socialisation et d’échange, davantage des besoins de survie, tel qu’obtenir le statut de réfugié, trouver un logement, chercher du travail… Du côté de la visibilité, il n’existe pas d’entre-deux entre le coming out et le placard. »

L’entre-deux de Martin était d’épouser une femme, ce qui est, selon lui, une porte de sortie pour toutes les personnes gaies du Cameroun. « Tous les hommes gays qui restent au Cameroun ont une femme, des enfants. Pour sauver les apparences », ajoute-t-il. Toutefois, quelques mois après son arrivée au Québec, Martin n’hésite pas à sortir au Village, et participe activement aux activités de discussion d’Arc-en-ciel d’Afrique, comme beaucoup d’autres membres de l’organisme. Il dit y bénéficier d’un bon soutien moral, et se sent à l’aise dans ce milieu ouvert : « Je préfère ne pas fréquenter les gens fermés d’esprit, ils vont penser que je peux leur faire du mal. Quand tu es dans ton milieu, tu es tranquille. »

Le mandat d’Arc-en-ciel d’Afrique est d’ailleurs de briser l’isolement des personnes LGBT afro-caribéennes et d’être un intermédiaire entre les communautés LGBT et afro-caribéennes. Souvent, explique M. Lafontant, un nouvel arrivant va chercher à rejoindre la communauté de son pays d’origine, parce qu’il aura besoin de leur support dans son processus d’intégration à la société québécoise. « Mais c’est sûr qu’il arrive souvent qu’il ne puisse pas parler de leur orientation sexuelle dans leur communauté », précise-t-il. « Donc Arc-en-ciel d’Afrique lui permet de faire le pont entre les deux, parce que ce ne sont pas des gens qui peuvent s’intégrer facilement dans la communauté LGBT d’ici. »

Quelques chiffres :
– 2,8 milliards de personnes vivent dans des pays où l’homosexualité entraine une peine d’emprisonnement ou une peine de mort.
– 80 pays considèrent l’homosexualité illégale
– Les actes homosexuels sont punis de mort dans 6 d’entre eux : Iran, Mauritanie, Arabie Saoudite, Soudan, Yémen, Émirats Arabes Unis.

Et après…

Le nombre de réfugiés acceptés sur la base de leur orientation sexuelle est difficile à déterminer. Étant donné que les demandes se font à huis clos, les causes des requêtes sont ardues à obtenir, selon Me Taillefer. Toutefois, selon les personnes interrogées, beaucoup de demandeurs d’asile LGBT se voient reconnaître le statut de réfugiés. Cela leur confère une protection qu’ils n’osaient parfois pas imaginer dans leur pays d’origine. Martin porte souvent un bracelet aux couleurs de l’arc-en-ciel, pour se faire reconnaître en tant qu’homme gay. « J’aime dire la vérité; ici, je suis à l’aise parce que je sais que je suis protégé. On ne peut pas me faire violence », déclare-t-il.

Par Cléodalie

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