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Originaire du Lac Saint-Jean, Sophie Paradis, révélée au grand public pour son rôle de Manon Lesage dans l’Auberge du Chien Noir, revient sur son rôle de porte-parole pour l’organisme Interligne.

1- Parles-nous de ton parcours artistique, comment tout a débuté?

Les arts et la culture font partie de ma vie depuis ma plus tendre enfance. Ma mère était pianiste. Elle chantait et enseignait la musique, à Alma. Mon père jouait et chantait dans des Opérettes au Carnaval de Chicoutimi. Il a également joué dans quelques pièces de théâtre. J’ai vu mon frère faire de l’impro, du théâtre, des arts plastiques et de la musique. Toute jeune j’ai appris un peu le piano avec ma mère et joué du Saxophone Baryton pendant plusieurs années. J’ai aussi suivi des cours de théâtre et d’improvisation au secondaire.

Mais c’est surtout au CEGEP que la passion du jeu m’a frappée de plein fouet et que ma timidité a réellement commencée à laisser place à l’expression. Au programme de Sciences Pures où j’avais initialement été admise pour devenir chimiste, j’ai rapidement préféré les études en Arts et Lettres, profil cinéma. C’est dans ce cadre que j’ai eu l’occasion de jouer dans Le songe d’une nuit d’été, créé par le TNM au Collégial. J’ai su instantanément que je voulais devenir comédienne!

J’ai alors passé des auditions et ai été admise au Collège Lionel-Groulx de Ste-Thérèse où j’ai étudié le théâtre entre 1997 et 2001. En sortant de l’école, j’ai passé beaucoup d’auditions pour des films, des séries et des téléromans. J’ai fait quelques apparitions ici et là avant d’être choisie pour interpréter Manon Lesage, dans l’Auberge du chien noir. Pendant les 15 années qu’a duré la série, j’ai également eu le privilège d’incarner Jeanne dans Histoire de Famille, de jouer le rôle très complexe et riche de Linda Trottier/Laurie Berthier dans Mémoires Vives, de faire du théâtre d’été, de chanter dans quelques projets, de faire des lectures publiques ou de la voix pour diverses réalisations.

Mais je n’ai jamais arrêté de me former. J’ai suivi différents cours pour développer, entre autres, la voix, le chant, pour approfondir mon jeu et développer de nouveaux atouts, tel que la mise en scène, la direction d’acteur, l’animation d’événements, etc.

2- As-tu toujours été « out » dans ton métier?

Non. La première année après ma sortie de l’école, j’étais très impressionnée et intimidée de travailler avec des gens que j’admirais depuis mon enfance. Je ne souhaitais pas m’afficher, j’avais peur que ça nuise à ma carrière. J’ai toujours souhaité être reconnue pour le travail que je fais, et non pour mon orientation sexuelle. Après un certain temps, je n’en pouvais plus d’éviter le sujet avec mes nouveaux collègues de travail et j’ai commencé à le dire ouvertement, comme je le faisais à l’école de théâtre. Ça a commencé à se savoir dans le milieu et la plupart des gens l’ont accepté rapidement.

Il n’empêche que j’ai quand même entendu des propos homophobes, des maladresses aussi quant à l’utilisation de mots à connotation plus négative. Ces mots, s’ils concernaient le plus souvent les hommes gais, me heurtaient profondément. Cela atteignait mes amis, ma communauté… et donc moi. J’ai senti naître mon désir de sensibiliser les gens qui m’entourent à l’impact que peut avoir l’utilisation de ce genre de vocabulaire.

3- Quel est le plus gros défi auquel tu aies eu à faire face?

En tant que comédienne gaie, mon plus grand défi a été avec moi-même! J’avais beau être entourée de gens formidables, c’était à moi de m’affirmer comme femme gaie, de me tenir debout face à l’homophobie latente, d’agir de façon diplomate et de continuer à avancer. À un moment dans ma carrière, je me suis faite dire qu’il était mieux pour moi, et ma carrière, de ne pas trop parler de mon orientations sexuelle.

Ces paroles ont été assez fortes pour que je m’interroge effectivement. Est-ce que je devais ignorer, voire cacher, qui je suis et la vie que je mène? Mon intégrité, mon caractère affirmé – peut-être même un peu rebelle, m’ont heureusement poussée à garder la tête haute et m’assumer entièrement. J’ai décidé de ne pas écouter ces voix influentes du milieu. J’ai fait en sorte que ma conjointe existe, de fonder ma famille homoparentale et d’en être profondément fière. Aujourd’hui, je suis plus affichée que jamais à mon amoureuse, mon fils et ma famille.

4- À quoi aspires-tu pour l’avenir?

En tant que femme comédienne, de nombreux défis persistent également. Bien qu’il y ait une certaine évolution et un travail constant pour l’atteindre, la parité n’est encore gagnée dans le milieu culturel. Il y a plus de rôles substantiels et lucratifs pour les hommes que pour les femmes. Sans oublier que le salaire n’est pas du tout équitable.

Je n’ai pas la prétention d’avoir le pouvoir de changer les choses mais j’aimerais bien entendu que la parité devienne une réalité, que les rôles de femme soient davantage mis en valeur et que les femmes soient mieux représentées dans les œuvres d’ici. Que l’orientation sexuelle ne nécessite pas un « coming out » à chaque fois mais soit juste une réalité quotidienne sans tambour ni trompette.

Nous sommes à une époque où le statut de la femme n’est pas encore acquis. Nous devons continuer à nous « battre », comme l’ont fait nos aïeules, pour faire valoir notre juste place dans toutes les sphères de la société. Pour qu’enfin une femme qui a du caractère, du dynamisme, de l’autorité soit vue comme telle plutôt que comme une femme hystérique, « pms » ou castratrice. Je rêve du jour où certains hommes ne sentiront pas leur virilité attaquée parce qu’une femme est en position de pouvoir.

Je rêve aussi du jour où les rôles de femmes s’éloigneront davantage des stéréotypes conventionnels. Que les femmes ne soient plus le faire-valoir de l’homme. Qu’elles soient moins effacées, plus valorisées. Que les femmes soient célébrées par des récits qui mettent de l’avant leurs exploits, leur travail, leurs valeurs, leurs pouvoirs. Il n’y a rien contre les hommes dans ma réflexion. Je souhaite seulement que nous puissions occuper notre juste place dans la société.
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5- Quelle est la raison principale de ton engagement avec Interligne?

Plus on fait connaître Interligne, plus il y a de chance d’aider des gens en détresse. Les personnes LGBTQ+ ou leurs proches peuvent appeler la ligne d’écoute, clavarder, texter ou envoyer un courriel en cas de besoin. Si des alliés de personnes LGBTQ+, des professionnels de la santé, de l’enseignement ou des services sociaux ont des questions au sujets des communautés LGBTQ+, ils peuvent contacter Interligne afin d’être renseignés ou référés aux différentes ressources disponibles.

Interligne donne des conférences et des ateliers sur les réalités LGBTQ+ et recense les actes de violence contre les communautés LGBTQ+. Bien entendu le sujet me touche personnellement et je souhaite de tout cœur laisser à mon fils une société plus informée et plus ouverte. Si ma mince contribution peut aider à aller en ce sens, peut aider quelques personnes, ce sera déjà un pas de fait.

6- Quels sont les domaines à améliorer selon toi?

Je crois qu’il est important de dire qu’au Québec, en 2018, il est encore difficile, pour les personnes trans entre autres, d’avoir accès à des soins de santé de façon sécuritaire dans certains établissements. Que certains professionnels de la santé banalisent des demandes provenant de personnes lesbiennes (pour des tests de dépistage ou test PAP par exemple) et affirment, à tort, que ce n’est pas nécessaire. Ce n’est qu’en dénonçant que l’on pourra initier une réflexion et faire évoluer les services que les communautés LGBTQ+ reçoivent.

Nous vivons une époque de profonds changements du point de vue des valeurs – on l’a vu avec le mouvement #moiaussi – et aussi au niveau du langage. Je crois qu’il y a une réflexion collective sur l’utilisation des mots en ce moment, et c’est une bonne chose selon moi. Les mots que nous utilisons ont un impact, positif ou négatif. Tout changement ébranle, voire choque, beaucoup de gens. C’est normal. Mais ces changements sont urgents et profondément nécessaires, pour une vie plus inclusive où le respect, la curiosité et l’écoute se cultivent pour nous permettre de mieux vivre ensemble. Ma vision est peut-être idéaliste, mais j’y crois! Tout n’est pas parfait, parce que nous sommes tous humains et imparfaits, mais je vois des avancées et cela me touche et m’encourage.

7- Quelles sont les femmes que tu trouves inspirantes?

C’est très difficile pour moi de n’en nommer que quelques-unes, parce que j’en admire beaucoup! J’admire les femmes qui occupent des postes de haut niveau, des postes dans des métiers dits masculins. J’admire les politiciennes, les athlètes, les garagistes… Je célèbre toutes les mamans qui élèvent leurs enfants, ce n’est pas une mince affaire! J’admire les femmes qui se lèvent pour dénoncer les atrocités et l’oppression qu’elles ont vécus, c’est profondément courageux. J’admire les femmes de l’Histoire avec un grand « H », pour le chemin parcouru jusqu’ici et celui qui nous reste à faire. J’aime les femmes… Évidemment!

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