Nombreuses sont les voix qui sous-entendent qu’homosexualité et culture orientale sont incompatibles. Les femmes d’Helem Banet, l’association qui lutte contre l’homophobie au sein de la communauté arabophone sont la preuve vivante qu’il n’en est rien.
Dans certaines cultures, l’homosexualité est considérée comme un choix, comme un péché, ou n’existe pas. Confrontées à ces représentations et à l’idée selon laquelle l’homosexualité est un « phénomène occidental », les femmes de Helem Banet nous parlent de leur vie — ou double vie — pour certaines. Dans cette organisation créée en 2004 à Montréal pour soutenir la cause LGBTQ+, elles évoquent leurs cheminements, leurs craintes et ce que l’homosexualité peut représenter pour leur famille. Elles viennent du Maroc, d’Égypte, du Liban et d’Arabie Saoudite. Pour elles, le Canada représente la liberté. Mais la liberté vient souvent avec un prix. Ne pas s’enlacer ou se tenir la main, ne pas montrer de signes d’affection en public ou vivre dans la peur. C’est le quotidien de certaines d’entre elles. Mener une double vie, c’est réduire le risque d’être découverte. « Au Maroc, être homosexuelle est extrêmement mal vu », explique Nina. Ça impacte toute la famille. Quand je sors, je fais très attention. Même dans le Village gai de Montréal, on ne se prend pas la main. En plus, nous sommes forts avec le “ téléphone arabe ”, ça parle beaucoup. »
La « famille »
Lorsque Carol a fait son coming-out à son frère, il l’a enlacé et dit « je ne comprends pas, mais j’admire ton courage de t’ouvrir à moi ». La communauté revêt une grande importance dans la culture orientale. La « famille » ne se compose pas seulement des parents proches. C’est tout un écosystème constitué de voisins, oncles et tantes, proches ou éloignés. Autant elle peut être un soutien important, autant elle peut susciter un énorme tiraillement dans l’affirmation de soi et la possibilité de vivre sa vie aux yeux de tous. Pour Karole, l’environnement au Liban n’aide pas à être soi-même : « C’est pour cela que, lorsque je suis arrivée, je ne voulais rien savoir des Arabes. Je voulais être libre, être moi-même. Je ne voulais pas vivre deux personnalités parce que c’est fatigant. » Que ce soit au Maroc ou en Égypte, l’homosexualité est perçue comme une plaie qu’il faut soigner. Grandir dans des pays qui dépeignent l’homosexualité comme une erreur de la nature et où les lesbiennes sont menacées de lapidation, influence fortement les personnes homosexuelles en questionnement qui peuvent même développer un dégoût envers leur culture, voire envers eux-mêmes. La honte qui peut peser sur le nom entier est telle que certaines n’oseront jamais faire leur coming-out et « l’imposer » à leur famille.
Sandra considère que l’enjeu pour les femmes lesbiennes est la réputation de la famille : « Notre culture est beaucoup dans le jugement, le commérage et le paraître. Sortir du placard, c’est exposer sa famille et la déshonorer. » À partir d’un certain âge, les jeunes se doivent de fonder une famille. Ce n’est pas « normal », surtout pour une jeune femme, d’être célibataire ou de ne pas fréquenter [d’hommes]. Souvent, des mariages sont arrangés et il n’est pas exceptionnel que des femmes lesbiennes ou bisexuelles soient mariées afin de se conformer aux attentes traditionnelles de la société. Comme l’explique Sandra, « Ici, je profite de ma double vie et de ma liberté. Ma famille a fait pression afin que je me marie. Alors je me suis fiancée à un Égyptien. Je pensais que j’étais obligée d’avoir la même vie que tout le monde. Je voulais être acceptée, faire la bonne chose. Ça a été une vraie torture. Certains hétérosexuels sont dégoûtés par nous. De mon côté, j’étais dégoûtée par ce que je faisais parce que ce n’était pas normal pour moi. »
La sortie du placard
Sur la dizaine de femmes rencontrées, quatre sont sorties du placard et n’ont plus peur de se montrer. Bien sûr, elles ont grandi en voulant être comme les autres, agir comme les amies ou les cousines, sans comprendre leurs différences. Pouvoir mettre des mots sur ce qu’elles ressentaient et le fait de ne pas être attirées par les hommes. Pour une grande majorité, l’arrivée au Canada, pour étudier, a représenté une délivrance.
Lorsque le discours sur l’orientation sexuelle est associé à des termes tel que « péché », l’homosexualité est présentée comme étant incompatible avec la religion.
Les chaînes se sont brisées, autorisant plus de liberté, la découverte de leur attirance pour le même sexe, de leur corps, mais surtout de leur sexualité. Carol explique très bien sa fascination, vers 17 ans, pour une fille « Je rêvais de lui faire l’amour. Je me suis inscrite en ligne avec un faux profil pour faire des rencontres et poser une tonne de questions. J’ai rencontré une fille qui m’a dit que son ex-petite amie était Égyptienne. Cela a été comme une explosion de joie, car il y en avait d’autres comme moi. »
Pour Karole, qui vit à Montréal depuis huit ans et demi, le coming-out s’est fait dans le non-dit. Construire sa vie à Montréal, avoir ses ami(e)s et son travail ont éloigné la pression familiale et la peur du qu’en-dira-t-on. « Je suis ici et je suis plus à l’aise. Quand je vais visiter mon pays, je suis moi. Je ne fais plus semblant. J’ai perdu des amitiés à cause de mon homosexualité, mais je m’en fous. » L’opinion de l’autre a de moins en moins d’importance et l’acceptation de soi se fait tout naturellement. Pour Kadera, le jugement et le regard de la société sur sa « famille » ont plus d’importance que le désir d’afficher sa bisexualité. « Tu dois faire attention à ce que les gens pensent et la manière dont cela va impacter ta famille. C’est le plus dur dans la sortie du placard. Parce que tu affectes ta famille et leur nom. » Danielle croit que beaucoup de lesbiennes seraient sorties du placard et en seraient fières, s’il ne s’agissait que de leur famille proche. Mais être out, n’empêche pas toujours de continuer à vivre cachée et dans la peur.
Représenter cette « famille » est une lourde responsabilité. Il faut être bien sous tous rapports puisque l’homosexualité est un sujet tabou et mal vu. L’année dernière, Nina, 23 ans, a fait son coming-out à son père. « Pour un Marocain, il est très ouvert d’esprit et a très bien réagi. La discussion avec ma mère, très conservatrice et pour qui les choses doivent se faire dans les normes, a été très virulente. Si je rentrais au pays, j’allais voir un médecin pour me faire soigner. »
La religion
La religion peut, elle aussi, être une barrière à l’acceptation de soi. Raquel, 23 ans, est la seule exception du groupe. De confession juive, elle mentionne que dans sa communauté « être gaie est très commun et n’est pas du tout tabou. Le rabbin de la plus grande synagogue de Montréal est lesbienne ». L’omniprésence de discours religieux vilipendant la communauté homosexuelle peut être source d’embûches et de souffrance, pouvant parfois mener jusqu’au suicide ou au déni de sa propre orientation sexuelle. Sarah explique qu’avant de pouvoir s’accepter en tant que lesbienne, elle était homophobe. « Je me suis construite comme lesbienne et catholique afin de pouvoir me réveiller tous les matins et m’accepter. » Comme le mentionne Sarah, certaines se sont questionnées pendant des années avant de réaliser, d’accepter et de comprendre que « Dieu sera toujours avec elles ».
Plusieurs femmes de Helem Banet réussissent à dissocier et à vivre parallèlement leur religion et leur homosexualité. Karole considère même que ce sont deux choses bien distinctes : « Je ne peux pas dire que la religion m’empêche d’être homosexuelle, car c’est quelque chose que tu ne peux pas changer, tu ne choisis pas ton orientation sexuelle. » Réussir à vivre en harmonie avec sa religion, c’est dépasser la dualité qui existe entre les préceptes théologiques et ce que l’on est. Chaque croyante a dû composer à sa manière et faire face à ses propres craintes.
« Ça été difficile à un certain moment car, d’après ce que disent les gens, l’homosexualité est l’un des plus grands péchés, raconte Nina, de confession musulmane. J’ai commencé à lire le Coran et faire mes recherches. Je n’ai jamais trouvé le mot homosexuel. Je trouvais contradictoire d’être lesbienne et musulmane, mais je suis devenue très pratiquante, car ça me donne la paix intérieure et la sérénité. »
Carol, qui souhaitait être en paix avec sa relation avec Dieu et son homosexualité a été chercher conseil auprès d’un prêtre catholique. « Il a été très ouvert à la discussion. […] Je suis arrivée à la conclusion que Dieu est amour et qu’il n’y a rien d’anormal chez moi. » Force est quand même de constater que, pour certaines d’entre elles, s’accepter rime souvent avec un éloignement vis-à-vis de la religion ou, du moins, de sa pratique. Lorsque le discours sur l’orientation sexuelle est associé à des termes très péjoratifs tels que « péché », « enfer » ou « contre nature », l’homosexualité est présentée comme étant incompatible avec la religion. Pourtant, nous pouvons être de confessions musulmane, juive, catholique, chrétienne orthodoxe ou athée et être lesbienne ou bisexuelle.
Au sein de Helem Banet, toutes ses religions sont d’ailleurs représentées. « Nous rencontrons des personnes de la même culture que nous. C’est la clé pour être comprise », se réjouit Danielle. Pour ces femmes, dont la culture d’origine rejette l’homosexualité, il est important de se réunir et de se constituer un cercle social avec lequel il est possible d’échanger et de s’identifier. « Helem représente l’aide et l’espoir. Nous accueillons la personne avec tous ses bagages et traversons les difficultés ensemble », mentionne Carol. Raquel confirme en ajoutant que les femmes de Helem Banet sont comme des soeurs. Une « famille » très importante. Parfois même plus importante que les liens du sang car c’est celle qu’on s’est choisie. Ainsi, chaque été pendant le défilé de la fierté gaie, le drapeau du Liban flotte au milieu de la foule, fièrement brandi par les membres de Helem, porteurs de ce message :
Mannik Wa7dik — Tu n’es pas seule
Par Esther-Léa Ledoux
Photos par Julia Marois