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Comment la réalité virtuelle pourrait aider les femmes queers à obtenir le plaisir qu’elle méritent.

Je suis couchée, entièrement nue, sur une table de massage dans une pièce que je n’ai jamais vue auparavant. Autour de moi, tout est blanc : le foyer en brique à ma gauche, le luminaire au-dessus de moi, le paravent en face de moi. Je suis seule en compagnie d’une brunette aux ongles courts et violets qui s’agencent bien avec mon propre vernis lavande. Elle est aussi dans son plus simple appareil et me fait un cunni. Nos corps sont entremêlés. Je suis clouée sur place et satisfaite. Toutefois, après cinq minutes, la scène se termine et je suis propulsée à nouveau dans le monde réel. Mon imposant casque de réalité virtuelle (RV) semble soudain plus lourd sur l’arête de mon nez.

J’étais en train de visionner une vidéo gratuite sur PornHub, le plus important site de pornographie au monde, utilisé par 80 millions de personnes chaque jour. Pour accéder à la catégorie RV de l’entreprise, j’ai simplement besoin d’un casque à 20 $ et de mon téléphone intelligent. La vidéo que j’ai sélectionnée – c’est-à-dire l’une des nombreuses scènes de RV lesbiennes présentant du sexe oral – met en vedette Elle Rose, une actrice établie en Europe qui a trouvé du travail dans la porno en réalité virtuelle. En revanche, contrairement à la pornographie traditionnelle qui invite le spectateur à observer une scène intime vécue par d’autres, la perspective utilisée dans cette vidéo est la mienne. Je suis la femme qui se trouve sous Elle Rose. Je choisis ce que je veux voir, ce sur quoi je veux me concentrer et comment je veux vivre la scène. Je suis au centre de l’attention.

La différence est frappante en comparaison de l’offre pornographique abondante qui utilise l’image de la lesbienne pour le plaisir des hommes. La réalité virtuelle propose le potentiel révolutionnaire d’un fantasme dans lequel la satisfaction féminine est centrale. La technologie elle-même pourrait constituer une alternative queer, une façon concrète de rendre la pornographie moins hétéronormative et plus accessible aux personnes à la recherche d’un nouveau moyen de vivre leur sexualité. Les hommes hétérosexuels sont peut-être les plus grands consommateurs de porno sur Internet, mais les femmes queers méritent de se voir représentées d’une manière inédite: en contrôle de leur plaisir.

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La pornographie lesbienne telle que nous la connaissons a vu le jour durant les Feminist Sex Wars (controverses féministes sur le sexe) des années 1970 et 1980. Elle a été créée pour contrer les arguments anti-pornos de certaines féministes de la deuxième vague et pour dénoncer la porno grand public. Des entreprises de production dirigées par des lesbiennes ont émergé, représentant la sexualité queer dans ses formes les plus bruts : l’utilisation de godemichés et de harnais, des femmes dans des positions de domination, de véritables orgasmes. Toutefois, avec l’avènement de la pornographie sur Internet dans les années 1990, les représentations des relations sexuelles entre femmes dépendaient généralement de la direction et du désir des hommes. En 2013, Valerie Webber, une chercheuse de la Memorial University de Terre-Neuve, a publié une étude sur la porno lesbienne. Une de ses découvertes : les vidéos les plus populaires correspondent souvent aux fantasmes des hommes, notamment l’idée du sexe lesbien en tant qu’apprentissage ou expérience ponctuelle. Les représentations authentiques de relations sexuelles entre femmes se trouvent, en général, seulement sur des sites nichés ou « alt ». Étant donné que la RV est une technologie assez récente (devenue plus accessible, il y a quatre ans, grâce au lancement à prix abordable du casque de visionnement Google Cardboard), plusieurs entreprises investissent dans des vidéos grand public. Dans ce contexte, les scènes de triolisme avec un homme sont évidemment plus nombreuses que celles qui ne présentent que deux lesbiennes ensemble.

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Les données fournies par PornHub montrent que les femmes queers sont encore minoritaires lorsqu’il est question de consommation de pornographie. Moins d’un quart des utilisatrices enregistrées ont indiqué qu’elles étaient intéressées uniquement par les femmes. (Environ 44 % affirment qu’elles regardent de la porno présentant des hommes et des femmes. De même, les utilisateurs trans ne font pas de distinction entre acteurs et actrices.) Toutefois, la RV pourrait changer la donne. Il y a déjà de plus en plus de représentations positives des sexualités queers dans la porno traditionnelle (même si elles sont peu présentes sur les sites de diffusion en continu les plus populaires), ce qui est gage d’une porno de meilleure qualité en général. Mais la technologie de RV offre un avantage supplémentaire : c’est une forme de porno active plutôt que passive qui place l’utilisateur en position d’interprète et lui confère un certain sentiment de pouvoir. Au fur et à mesure que la technologie évolue, l’effet « point de vue » s’améliore encore davantage. Par exemple, l’année dernière, PornHub a ajouté le teledildonic interactif à son offre de RV, une fonction qui permet l’utilisation de jouets sexuels compatibles dont le rythme va s’adapter aux mouvements des interprètes. Certaines entreprises, qui ont investi précisément dans la porno en RV, tentent aussi d’offrir un terrain de jeu plus équitable pour les consommateurs LGBTQ+. BaDoink, un site qui se spécialise dans les expériences de RV immersives, avait historiquement produit des vidéos pour les hommes hétérosexuels. Récemment, il a élargi son offre de vidéos lesbiennes dans lesquelles aucun homme n’est présent. Selon Dinorah Hernandez, directrice générale et gestionnaire de contenu du site, BaDoink a enregistré une augmentation du nombre de ses utilisatrices à la suite de ce changement (17 % en 2017 versus seulement 6 % l’année précédente). Il existe aussi des sites qui s’adressent principalement aux femmes comme LezVR et YanksVR (le dernier présente des actrices amatrices filmées par des productrices). Chez Kink.com, c’est une femme queer qui est à la tête de la nouvelle section de RV.

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Les personnes que j’ai interrogées partagent la même opinion : la porno en RV a un avenir prometteur. Cette technologie est fascinante, interactive et tout droit sortie d’un film de science-fiction. Il y a toutefois place à amélioration. Bien que la réalité virtuelle tente d’immerger les spectateurs dans une situation, j’ai, plusieurs fois, été accidentellement éjectée hors d’un fantasme. Si je tournais la tête trop loin vers la gauche ou la droite avec le casque, la scène devenait soudainement noire, me rappelant que je ne me trouvais pas réellement avec une vedette porno attirante, mais bien toute seule sur le divan de mon salon. Les vidéos filmées avec une caméra 360 degrés permettent d’éviter cette situation, mais le matériel nécessaire reste très coûteux et plusieurs vidéastes utilisent encore une caméra à grand-angle, c’est- à-dire une lentille de 180 degrés qui offre une amplitude de mouvement limitée. Le casque a aussi tendance à causer le mal de mer. Et la nausée, ce n’est pas sexy. Ces contraintes ne sont toutefois que de petits irritants lorsqu’on les compare à un autre problème plus urgent : j’ai seulement été en mesure de me projeter dans la plupart de ces scènes parce que je suis une femme blanche, menue, avec un type de corps qui est majoritairement représenté dans la plupart des vidéos. Le fantasme courant de deux femmes blanches minces qui baisent à l’écran ne fonctionnent pas lorsque vous êtes une femme qui ne correspond pas à cette norme – encore moins quand il est question de réalité virtuelle. Le manque de diversité des corps présents dans l’offre actuelle de porno en RV est, au mieux, décevant, au pire, impossible à regarder. Certains créateurs tentent de remédier à ce déséquilibre comme le producteur de porno en RV Holodexxx de Toronto. Il effectue des essais pour créer une expérience de RV entièrement personnalisable grâce à l’utilisation de vidéos filmées par des centaines de caméras et d’un logiciel de détection de mouvements dont se servent les développeurs de jeux vidéo. L’entreprise espère créer des «avatars» qui peuvent être modi és selon les préférences de l’utilisateur. Avec le temps, la technologie pourrait corriger les problèmes fondamentaux qui existent pour les consommateurs marginalisés et faisant partie des minorités.

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La réalité virtuelle a entièrement transformé quelque chose de traditionnel, changeant, par la même occasion, la façon dont le monde comprend et consomme la pornographie. Le potentiel est spectaculaire. Et cela ne coûte pas cher. Des sites comme PornHub ont ajouté des sous-titres pour les sourds et malentendants. Pour les personnes en situation de handicap, il est possible de pro ter du divertissement avec les mains libres. Et pour les femmes, c’est un moyen d’échapper à la porno qui nous réduit à des objets. Il est cependant clair que les femmes queers ne sont pas encore au cœur de la révolution de la RV. Peut-être que les producteurs doivent encore comprendre comment nous vivons le plaisir et les moyens par lesquels la technologie pourrait améliorer notre expérience. Le changement dans ce domaine dépend beaucoup des femmes queers travaillant dans l’industrie même ; des femmes qui comprennent le besoin d’une meilleure représentation, y compris dans les médias que nous utilisons pour jouir. Je n’utilise que rarement mon casque de RV. J’étais curieuse de ses capacités, mais pas suffisamment pour y retourner régulièrement. Malgré tout, les fois où je l’ai glissé sur ma tête et que je me suis lancée dans un autre monde que le mien, ce fut exaltant. Un peu comme un aperçu d’un futur qui pourrait réellement devenir incroyable.

Par Erica Lenti
Visuel par Harrison Fun

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