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Le Profil Amina – Un film de Sophie Deraspe

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Ce qui avait commencé comme une belle romance lesbienne s’est révélé être l’une des plus importantes supercherie de l’ère du web. Dans son documentaire «le profil Amina», la réalisatrice québécoise Sophie Deraspe (Rechercher Victor Pellerin, Les Loups) livre une version toute personnelle de l’affaire Amina, dont elle est le témoin privilégiée, et décortique minutieusement ce que cette imposture dit de notre époque.

Début 2011, Sandra Bagaria, française établie à Montréal, et Amina Arraf, americano-syrienne vivant à Damas entament une relation en ligne passionnée. Jusque là rien que du très banal, à fortiori dans la communauté lesbienne.

Pourtant leur histoire n’aura rien d’ordinaire. Sous l’influence du printemps arabe, Amina s’engage avec ardeur dans la révolte anti-régime et crée le blog «Gay Girl in Damascus» (Une fille gaie à Damas) dans lequel elle affiche ouvertement son orientation sexuelle et relate son quotidien sous le régime autoritaire de Bachar Al-Assad, le soutien inconditionnel de sa famille et les aspirations de ses concitoyens. Blog qui lui vaut un intérêt croissant de la part des activistes du Moyen-Orient, des médias et militants LGBT internationaux.

Malgré la censure et l’accès irrégulier à Internet, Sandra et Amina correspondent intensivement jusqu’à ce qu’Amina disparaisse, enlevée par la police secrète syrienne. Une grande mobilisation internationale s’organise alors pour retrouver sa trace, lui éviter la torture, le viol voire la mort.

La suite est connue par de nombreux internautes à travers le monde. Amina n’existe pas, son histoire est un «hoax». La jeune et belle lesbienne syrienne est en fait un quadragénaire américain, hétérosexuel, marié et installé en Grande-Bretagne, Tom MacMaster.

«Chaque fois que j’avais des questions ou que l’on planifiait de se parler, il se passait quelque chose d’important, raconte Sandra. Amina avait dû fuir, elle était surveillée, Internet était bloqué… Quand un journal comme le Guardian a publié une interview d’Amina laissant entendre qu’un correspondant à Damas l’avait rencontré, mes doutes étaient dissipés. Juste avant qu’elle ne se fasse kidnapper, nous devions nous rencontrer en Italie. C’est sans doute ce projet qui a forcé Tom à précipiter la disparition d’Amina».

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Mais quand même, n’est pas lesbienne qui veut! «Tom s’était forgé une identité lesbienne depuis des années, poursuit Sandra. Je n’étais pas la première qu’il fréquentait en ligne. Amina existait depuis longtemps et existe peut-être encore quelque part aujourd’hui. Elle est son alter-ego». Une vie parallèle si rondement menée que même les échanges à caractère sexuel ne lui mettront pas la puce à l’oreille : « le virtuel c’est imagé, ça laisse place à l’imagination, à l’interprétation. C’était crédible».

Amie de Sandra Bagaria, Sophie Deraspe vit l’intrigue de l’intérieur. «Au moment où la vérité a éclaté, j’avais conscience qu’on vivait quelque chose d’à la fois horrifiant et extraordinaire. Je n’allais pas demander à Sandra de la filmer. Il y avait déjà un gros harcèlement médiatique autour d’elle… Mais je lui avais dit qu’on était en train de vivre un film. J’ai laissé une porte ouverte».

6 mois plus tard, Sandra offrait à la réalisatrice les archives de sa correspondance avec Amina et le feu vert pour «faire quelque chose avec ça». Le résultat est un savant mélange d’entrevues entre Sandra et divers journalistes, activistes et blogueurs ayant joué un rôle dans l’histoire Amina, d’images d’archives de la révolution et de scènes de fiction.

Selon Sophie Deraspe, l’histoire est universelle parce qu’elle parle d’enjeux de notre époque : la construction identitaire, les illusions amoureuses, notre besoin d’instantanéité, la possibilité de vivre en ligne quelque chose d’impossible dans notre corps physique.

«Très vite, j’ai su que le film ne pouvait pas se terminer sur le simple constat qu’Amina était en fait un homme et que tout le monde s’est fait avoir, explique-t-elle. Trop de gens avaient été floués».
Qu’un hétérosexuel blanc occidental, bien à l’abri de nos démocraties, encourage le coming-out dans un pays où les relations homosexuelles sont illégales et passibles de 3 ans d’emprisonnement, c’était aussi immoral.

C’est donc à de nombreux protagonistes éparpillés aux 4 coins du globe que Sophie Deraspe voulait donner la parole.

«Le dernier mot devait être aux syriens qui sont encore plus enfoncés dans la guerre, la crise, la destruction qu’on ne pourrait l’imaginer. Les gens là-bas n’ont rien demandé. Ils ont été discrédités, mis dans l’ombre, privés de l’attention dont ils avaient besoin dans les moments critiques de la révolution. Le régime officiel a utilisé cet exemple pour dire qu’il n’y a pas de révolution, que les rebelles sont manipulés par des américains qui ont des problèmes d’orientation sexuelle», raconte la réalisatrice.

C’était aussi l’occasion pour Sandra de faire un cheminement «quasi thérapeutique» en temps réel, de comprendre et d’accepter. De reprendre le contrôle de son histoire et de son image. «Aujourd’hui Sandra va à nouveau être associée à quelque chose qu’elle a choisi. A l’époque, la situation lui avait échappé».

Sophie Deraspe parvient à rendre aux victimes un peu du temps que l’affaire Amina leur avait volé et a attiré l’attention des spectateurs sur la nécessité d’être vigilant sur nos façons d’entrer en relation et de consommer l’information. Selon elle, il faut «accepter que certaines choses prennent du temps».

Le documentaire se construit comme un polar qui se regarde comme une fiction. Le spectateur ressort avec autant de questions que de réponses. Autant déstabilisé qu’envouté par l’ambiance des chaudes ruelles de Damas et la volupté fantasmée des cultures orientales qui font la part belle à l’érotisme féminin. Évidemment celle qui recherche une version «mille et une nuits» de «La vie d’Adèle» ferait mieux passer son chemin. Pour autant, une chose est sûre, le Profil Amina ne laissera personne indifférent.

Par Claire Gaillard

 

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