Un désir de simplicité des odeurs et un retour aux sources ont inspiré Julie Jones à lancer, au mois de novembre dernier, trois essences signées Les Lares. Le parcours étonnant de cette femme et l’approche olfactive unisexe de sa marque ont piqué notre curiosité.
Entrevue
1- Tu as travaillé chez Coupe Bizzarre, Helmet, Arielle de Pinto et dans la pâtisserie. Comment es-tu arrivée dans le monde de la parfumerie?
J’ai toujours été très sensible aux odeurs. Chez Coupe Bizarre, on travaillait avec beaucoup de produits et si ceux-ci étaient trop chimiques, je détestais ça. Puisque je trouvais dommage de présenter ce genre de produits à mes clients, j’essayais de leur proposer d’utiliser des choses qu’ils avaient déjà chez eux, comme de l’huile d’argan ou de la crème à main, afin de limiter le nombre d’odeurs. Pendant ces années au salon, il est arrivé un drame, ma sœur est décédée. J’ai alors décidé de me déconnecter de tout et d’aller dans la nature, dans une maison sans électricité.
J’avais besoin de silence et de savoir où je voulais m’en aller avec tout ça. Cette retraite fermée m’a permis de me reconnecter avec la nature et avec moi-même. En revenant à Montréal, un an plus tard, j’ai décidé de m’inscrire à un cours d’herboristerie qui offrait une formation en parfumerie. En remarquant les différentes réactions des gens face aux huiles essentielles, j’ai compris la force des essences. Étrangement, une nuit, j’ai fait un rêve très clair (cliché, je sais …) à propos d’une recette qui allait donner naissance à mon premier parfum, Cognac à la Rose.
2- Quelle est l’importance de l’odeur lors d’une première rencontre?
Je crois que c’est très important et qu’il y a quelque chose de subtile là-dedans. C’est quelque chose qu’on ne voit pas nécessairement, c’est plutôt dans l’énergie et souvent par le nez. Tu peux ressentir le stress de quelqu’un par le nez, mais ce n’est pas nécessairement une bonne ou une mauvaise odeur, c’est plus dans la subtilité.
3- Crois-tu qu’il existe des odeurs typiquement féminines ou masculines?
Je me poserai toujours cette question et la réponse n’est ni oui ni non. Chaque personne conçoit le terme féminin et masculin d’une manière personnelle et ce qui est féminin pour quelqu’un pourrait représenter quelque chose de plus masculin pour une autre personne. Tu peux, par exemple, aimer le musc mais être, malgré tout, très féminine et vice-versa. Avec Les Lares, il est essentiel de ne pas avoir de barrières face à ça et de prendre chaque essence pour ce qu’elle est.
4- Est-ce que ta clientèle te sert d’inspiration lors de la création de nouvelles essences?
Oui, mais j’essaie toujours d’obtenir une balance entre les essences dites « féminines » et celles plutôt associées au sexe masculin, afin d’obtenir une essence attrayante pour tous. Dans le parfum Cognac à la rose, il y a, d’un côté, du poivre et du cognac, généralement associés au sexe masculin, et de l’absolu de rose et vétiver, habituellement utilisés dans les parfums dits féminins. L’agencement de ces ingrédients permet d’équilibrer le tout d’une manière intéressante.
5- Quelle est ton opinion face aux fragrances qui sont créées et vendues spécifiquement pour le sexe masculin ou féminin?
Je crois que c’est avant tout un outil de marketing. Il a été décidé que certaines odeurs étaient pour les femmes et d’autre pour les hommes. Personnellement, je m’en fiche et Les Lares c’est une réponse à tout ça. Je crois qu’en éliminant ce type de barrières, chacun pourrait réellement bénéficier de ce qu’un parfum a à offrir et ce, indépendamment du sexe.
« Dans l’antique Rome, les lares étaient les divinités veillant sur la vie domestique, ils agissaient comme protecteurs de la maison et de la famille. Les lares se transmettaient d’une génération à l’autre, aussi les appelait-on ancêtres ou esprits familiers. »
6- Crois tu que le monde de la parfumerie se dirige vers un avenir plus unisexe? Comme le fait déjà la mode par exemple?
À mon avis, il y aura toujours des parfums qui viseront spécifiquement les femmes ou les hommes, car c’est directement relié à la vision de certaines compagnies. Par contre, si les parfums unisexes deviennent « tendance », c’est évident que les grosses compagnies prendront cette tangente. Tout comme avec la nourriture dite « santé », s’il y a une possibilité de faire des sous, ces compagnies s’ajusteront.
7- Que penses-tu du fait que les gens choisissent majoritairement des parfums de masse distribués à grande échelle, tels que Coco Mademoiselle, Miss Dior ou encore Chloé by Chloe?
Je crois que c’est lié à une déconnection envers soi-même et simultanément à une identification à la marque. La manière dont ces compagnies associent l’image d’une belle femme à une odeur est particulièrement puissante. En portant cette odeur, tu ne sens plus toi, mais la marque et ce qui y est associé. Pour moi ce n’est pas de l’individualité et je trouve ça dommage. Ces odeurs prennent de la place et sont plus grandes que soi d’une certaine manière. On s’habille pour se déguiser parfois, alors je crois que le parfum peut aussi prendre ce rôle. Ça peut être un gros masque par peur d’être dévoilé.
J’espèrerais que les gens soient plus connectés avec leurs sens et aient une touche plus humaine. Pour moi, un parfum, c’est quelque chose de personnel. C’est supposé laisser une petite trace. C’est aussi un truc de proximité. Il faut s’approcher de quelqu’un pour le sentir.
Il y a aussi le fait de ne pas connaître ce que tu mets sur ta peau. L’utilisation d’ingrédients chimiques lors de la création de ces parfums enlève, à mon avis, une part de personnalité.
8- Quel type d’essence recommanderais-tu pour une femme qui est attirée par des fragrances plutôt sombres et denses?
Je conseillerais des tons de tabac, d’ambre, de musc, de cuir, de foin, de sauge, de patchouli et de carotte sauvage. En fait, ça doit être des essences riches et terreuses. Il est aussi possible d’aller plutôt vers le “floral heavy” avec la tuberose, qui est une fleur magnifique. Ou encore, vers des notes dites “spicy dry”, comme le poivre et la cardamome.
9- Quelles seraient les étapes à suivre pour bien choisir une nouvelle fragrance?
L’important est de l’essayer sur la peau et de vivre avec, au moins durant une journée, car c’est elle qui te donnera la réponse. Plusieurs critères, tels que ce qui est vécu dans le moment présent, le stress, l’alimentation, les hormones, peuvent amener l’essence à vivre différemment sur la peau. Je conseille le livre: Odoratus Sexualis, a scientific and literary study of sexual scents and erotic perfumes par Iwan Bloch pour mieux comprendre les humains et les odeurs. Une fragrance c’est aussi un phénomène d’attraction avec l’essence même, mais aussi avec les gens près de soi.
Les Parfums Les Lares sont en vente chez Lowell (Montréal), Annexe Vintage (Montréal), Ex Voto (Montréal), Les coureurs de jupons (Montréal), Victoire (Toronto et Ottawa), et en ligne (www.leslares.com)
@les_lares
Facebook : Les Lares
Par Justine Paquette