Le harcèlement de rue, malheureusement, beaucoup de femmes le connaissent. Et les lesbiennes mieux que personne. « Qui fait l’homme? », « Je peux me joindre à vous? », « Hitler n’a pas fini son boulot, dégagez! », « Lâchez-vous la main! ». Autant d’insultes que la créatrice française de Lesbeton a voulu rendre visibles en les publiant sur un Tumblr. Elle s’est confiée à LSTW pour parler plus largement de ce projet aussi indispensable qu’audacieux.
Entrevue
1- Qui se cache derrière Lesbeton?
Une étudiante française d’une vingtaine d’années, lesbienne et féministe, mais c’est réducteur. Je suis avant tout un être humain qui a le droit au respect, comme tous les autres.
2- Comment est venue l’idée du Tumblr?
L’idée part de mon expérience personnelle. Je suis lesbienne et je ne cherche pas à me cacher dans la rue lorsque je suis avec une fille qui me plait. Avec mon ex petite amie, on se faisait harceler très souvent, entre 5 et 15 fois par jour. C’était des remarques déplacées, comme : « Je peux être votre esclave sexuel? » ou « Je peux regarder? ». Une autre fois, je m’étais endormie contre elle dans le TGV et, à la fin du voyage, un homme s’est approché et nous a dit avec un grand sourire : « Merci ». C’était humiliant. Mais toutes ces remarques ce n’était qu’une partie de notre quotidien.
Je ne compte plus les coups de klaxon, les mecs au volant qui t’interpellent, ceux qui te suivent ou se retournent, les regards insistants, etc. J’ai saturé, j’ai fini par me sentir mal et pour la première fois, je me suis confiée à un ami, il y a un mois à peine, à 2h du matin sur Facebook. Il m’a dit : « Parles-en, explique, bats-toi ». Et puis Lesbeton est né…
3- Les lesbiennes du monde entier peuvent t’envoyer leurs photos/messages ou est-ce un Tumblr strictement français?
J’aimerais que ce Tumblr ne se limite pas qu’à la France car le problème du harcèlement de rue envers les femmes qui aiment d’autres femmes est global. J’essaye donc de contacter des médias ou des associations en dehors de la France, au Québec ou en Belgique et j’attends des photos en provenance du Maroc. J’ai aussi vu sur twitter qu’une association féministe en Suisse en avait parlé. Peut-être qu’avec le temps, on aura des contributions du monde entier!
4- As-tu déjà été victime ou spectatrice d’insultes homophobes? Lesquelles et dans quel contexte?
Oui, avec mon ex petite amie, à Paris. On était assises sur un banc près de la Seine, on parlait en se regardant avec tendresse. Un mec s’est approché, très agressif : « Vous êtes gouines? ». D’habitude, je ne le cache pas, mais cette fois-là, j’ai eu peur alors j’ai dit « non ». Il nous a fixé un moment, suspicieux, puis il a fini par partir en disant : « Heureusement, parce que ça me dégoûte ». À Montpellier aussi, dans le sud de la France. On revenait de la plage, on attendait le tram. Deux garçons s’approchent. L’un entame une discussion à priori décontractée. On parle de nos vies, c’était même plutôt sympa. Et puis, ça devait le démanger depuis le début, il finit par nous lancer : « Mais, si vous êtes lesbiennes, vous ne connaitrez jamais la meilleure sensation du monde… celle d’une grosse bite! ».
Je ne sais même plus comment on a réagi, on lui a peut-être dit : « Toi non plus ». Le pire, c’est que son pote avait honte, il l’a regardé en disant : « T’as vraiment dit ça? Tu peux pas dire ça… ». Des exemples comme ça, j’en ai des tonnes à Paris, à Montpellier, à Nancy, à Strasbourg, et peu importe le contexte : simple balade, transports en commun, parcs, etc. La plupart du temps, on se tenait la main ou on se prenait dans les bras.
5- Quels conseils donnerais-tu aux filles qui en sont régulièrement victimes?
Chaque personne est différente et ce qui a marché pour moi ne marchera pas forcément pour les autres. Personnellement, j’ai eu besoin d’en parler et de transformer ces expériences négatives en une initiative positive. Mais au quotidien, on arrive souvent à désamorcer les situations compliquées par le dialogue ou l’humour. La plupart du temps, les mecs s’en vont et finissent même par te souhaiter une bonne journée. Mais je peux comprendre que certaines n’aient pas envie de jouer les professeures 10 fois par jour, c’est usant. Ça m’a usée.
6- Depuis que tu as lancé le Tumblr, quels types de messages reçois-tu?
En général, on dit que c’est un beau projet et qu’il faut le continuer. Des médias français, comme Yagg, Jeanne Magazine ou Cheek ont relayé l’information tout de suite sur Facebook. Dans l’ensemble, les commentaires sont positifs. Je vois aussi que les gens s’interrogent sur les mots employés sur Lesbeton comme « asexuel », « hétéroflexible » ou « pansexuelle » et c’est une bonne chose. Le Tumblr Paye ta shnek (PTS), une référence en France concernant le harcèlement de rue, a aussi relayé Lesbeton sur sa page Facebook. Les commentaires en dessous de l’article étaient plutôt mitigés : une minorité d’hommes dénonçait un « projet qui crée des clivages » ou qui « stigmatise les hommes ».
Ces quelques réactions négatives, rapidement recadrées par PTS, et récurrentes dans les débats féministes et LGBT+, ne pèsent pas lourd face aux 500 personnes qui ont aimé silencieusement l’article.
7- Quel message souhaites-tu faire passer à travers ce Tumblr? Crois-tu que cela va aider à changer les choses?
J’espère que ce modeste blog va aider les femmes concernées, peu importe leur orientation sexuelle. J’espère qu’elles se diront : « Je ne suis pas seule, on en parle enfin et ça me soulage! ». J’aimerais qu’elles sachent qu’elles ont le droit d’être elles-mêmes et que c’est à la société d’évoluer. Les contributions sont ouvertes à toutes les femmes mais le blog s’adresse à tous, y compris à l’homme hétéro qui trouve le projet clivant. En vérité, ce site porte sur le droit au respect de tous les êtres humains, sans considération d’orientation sexuelle, d’origine, de classe sociale ou de religion. C’est ça, le moteur du blog : la volonté d’une société plus tolérante, tous ensemble.
Par Daisy Le Corre