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De désignation géographique à balise politique : points de vue

Retracer les premières mentions de l’homosexualité féminine dans l’histoire requiert un véritable travail d’archéologue. En toute logique, étymologiquement parlant, on s’intéresserait d’abord à notre homonyme. En 600 av J-C, la poétesse grecque Sappho a été l’une des premières à évoquer l’amour lesbien dans ses écrits. (Le mot « lesbienne » est un clin d’oeil à l’île de Lesbos, au nord de la mer Égée, lieu de naissance de la poètesse.) Au fil des siècles, nombre d’érudits (principalement masculins) ont nié sa sexualité ; dans les premières traductions de son travail, la gure féminine objet de son désir a été métamorphosée en homme. Aujourd’hui, cependant, il est communément admis que ses poèmes étaient des odes érotiques aux femmes et au corps féminin.

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Au cours de l’histoire, le langage associé au lesbianisme a souvent été caché ou esquivé par les femmes elles- mêmes, pour des raisons de survie ou d’homophobie intériorisée, et par les autres a n de banaliser ou de nier le désir homosexuel actif.

Dans l’Angleterre victorienne, par exemple, l’euphémisme « amitiés romantiques » permet aux lesbiennes de se dissimuler derrière un terme communément accepté pour décrire les relations passionnées, mais pas toujours sexuelles, entre femmes. S’exprimant souvent dans les écrits épistolaire, ces liens sont apparus à une époque où les femmes pouvaient s’appeler « mari » et « épouse », et utiliser le mot « amour » dans leurs correspondances sans attirer l’attention.

D’après l’Encyclopédie des histoires et cultures Gaies et lesbiennes, co-éditée par l’historienne Bonnie Zimmerman en 2000, le « lesbianisme » (entendu comme une relation érotique entre femmes) et l’adjectif « lesbienne » (utilisé pour décrire le tribadisme, un type de rapport sexuel) ont été documentés vers la n du 19ème siècle. À cette époque, les sexologues Richard von Krafft-Ebing et Havelock Ellis ont qualifié de problème médical l’attirance des femmes pour le même sexe, rendant pathologique la sexualité féminine et présentant le lesbianisme comme quelque chose qui peut être guéri.

Même si les termes « saphique » et « lesbienne » avaient été utilisés par les femmes occidentales qui refusaient de se faire pathologiser, l’identification « lesbienne », en tant que revendication, n’a quitté l’univers de la sous- culture pour faire son apparition dans le langage courant que dans les années 1970. C’est à cette époque que le Mouvement de libération gaie a pris de l’ampleur en Amérique du Nord – après les émeutes de Stonewall – et s’est opposé à la stigmatisation associée à certains libellés. Si ces étiquettes ont déjà été symboles de libertés, elles sont aujourd’hui, parfois, critiquées par la pensée queer qui les perçoit comme limitatives et teintées par un système qui demeurent hétéronormatif.

Presque 50 ans se sont écoulés depuis que l’usage du mot « lesbienne » s’est généralisé. Quelle signification revêt aujourd’hui cette appellation pour les femmes qui aiment les femmes?

Trois femmes s’identifiant comme lesbiennes se prononcent.

« Les lesbiennes ne sont pas des femmes »

Selon Alice Coffin, journaliste et militante féministe française, l’identité lesbienne est toujours considérée comme étant hors norme en Europe aujourd’hui, car la femme construit sa vie sans l’homme : « C’est un mode de vie encore très radical, mais toujours très important à revendiquer au sens politique ». Ce phénomène politique a été expliqué par plusieurs théoriciennes féministes, dont la française Monique Wittig qui a marqué le mouvement féministe, et plus précisément le mouvement féministe lesbien, des années 1970 et 1980. Dans ses écrits, faisant référence au concept de construit social féminin de Simone de Beauvoir – « on ne naît pas femme, on le devient » – elle affirme que « les lesbiennes ne sont pas des femmes ».

Selon elle, la femme serait pensée par l’homme de façon hétéronormative. Par conséquent, la lesbienne – refusant et s’opposant à ce cadre – ne serait pas femme. Cette théorie du dépassement du genre est expliquée par Tara Chanady, doctorante et chargée de cours en communications à l’Université de Montréal, dans une conférence de 2017 intitulée «Identifications lesbiennes et queer dans l’espace montréalais contemporain » : « En désirant des femmes, en sortant du système hétérosexuel, les femmes lesbiennes deviennent un genre un peu différent de la norme des femmes hétérosexuelles ».

Les lesbiennes sous le regard masculin

L’association française des journalistes LGBT, dont Alice Coffin est une des co-fondatrices, s’intéresse au traitement réservé au terme « lesbienne » sur le web. Lorsque l’on écrit ce mot sur le moteur de recherche Google en français, les premiers résultats sont associés à des sites pornographiques. Il semblerait que « l’identité lesbienne est encore une fois volée par les hommes pour en faire un contenu pour les hommes », dit Alice Coffin. La connotation sexuelle du mot « lesbienne » est tellement intrinsèque de notre société occidentale qu’elle est même intégrée et décelée par les algorithmes. Un constat qui s’est imposé, entre autres, lors de l’organisation de la Conférence Européenne Lesbienne* 2017 à Vienne. L’adresse courriel utilisée par les organisatrices comportait le mot « lesbienne » : « On ne comprenait pas pourquoi personne ne répondait à nos courriels. On a donc fait des tests pour en venir à la conclusion que tout ce qu’on envoyait se retrouvaient dans la boîte de courriels indésirables des destinataires, car le mot « lesbienne » était reconnu comme un spam », explique Alice Coffin.

Les lesbiennes se définissent

Tara Chanady montre que la désignation « lesbienne » peut se comprendre du point de vue du désir ou de l’identité. « Certaines personnes ne veulent pas rentrer dans une catégorie. Elles ne veulent pas restreindre le désir, qui est fluide, dans certaines catégories parce que ça l’empêche de bouger », explique-t-elle. « Pour moi, ma sexualité est très identitaire. Je me revendique comme lesbienne, c’est une grande partie de moi ». C’est aussi le constant d’Estelle Davis, une militante trans basée à Montréal: «Rien ne me fait plus sentir moi- même que mon identité de lesbienne. J’adore la sororité que cela m’apporte ».

Pensée par certaines de manière exclusivement cisgenre, la notion d’appartenance à la communauté peut toutefois engendrer des situations de tensions : le 7 juillet 2018, par exemple, lors de la Pride annuelle de Londres, un regroupement de femmes TERF (de l’anglais « trans-exclusionary radical feminists », signifiant féministes radicales excluant les trans) a interrompu le trajet de la parade. Elles visaient à exclure les femmes trans d’espaces lesbiens, ce à quoi les organisateurs de la Marche ont répondu qu’il s’agissait d’un niveau de bigotrie, d’ignorance et de haine qui était inacceptable. « Nous ne devons pas prendre à la légère les comportements transphobes dont ont fait preuve certains groupes de lesbiennes, déclare Davis. Il faudra avant tout ne pas généraliser ces comportements sur toute la communauté lesbienne – ils sont visibles à plus grande échelle à travers le monde. Afin d’éradiquer la transphobie, nous ne devons pas nous distancier du lesbianisme, mais bien de la transphobie en soi ».

Les lesbiennes de demain

À nouveau, il semble que la locution « lesbienne » soit en train d’évoluer pour mieux coller aux réalités de la génération actuelle. Pour l’adapter, il faudrait donc en élargir la définition, comme l’ont fait les organisatrices de la Conférence Européenne Lesbienne* : l’astérisque vise à représenter la diversité sexuelle, au même titre que le + de l’acronyme LGBTQ+.

Les organisatrices de la conférence continuent tout de même de penser que l’utilisation du mot constitue une forme d’autonomisation et de visibilité pour les lesbiennes : « Il reste important de nommer le mot afin de prouver son existence et son impact », dit Alice Coffin. En réduisant l’importance du terme « lesbienne », on risque de perdre son histoire. Toutefois, au regard de la multiplicité et de l’intersectionnalité des identités qui se nomment aujourd’hui, il
importe de formuler – et de véhiculer – une définition plus inclusive. Justement, pour ne pas nuire à notre visibilité, nous devons comprendre que le terme n’est pas homogène et que chaque réalité et identité se doivent d’être entendues et représentées.

Par Marika Tourigny-Robert et Justine Tremblay
Visuel par Harrison Fun

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