Nouvellement en poste au Conseil Québécois LGBT, Marie-Pier Boisvert cumule les implications dans l’univers LGBT au Québec depuis les dernières années. Dévouée, elle met l’accent sur les différentes communautés et leurs enjeux. De Sherbrooke à Montréal, elle doit relever un nouveau défi et compte laisser sa marque.
Entrevue
/ Parlez-vous un peu de vous, de votre parcours.
Je suis diplômée à la maîtrise en littérature (profil création) de l’Université de Sherbrooke, où j’ai eu la chance d’avoir une formation axée sur la sociologie et les cultural studies, grâce à laquelle j’ai pu me spécialiser en théories féministes et queer et en analyse des représentations d’altérité. Dans mon mémoire, j’ai plus spécifiquement étudié des modèles alternatifs de relations amoureuses dans des romans québécois, et écrit un roman sur le thème du polyamour. J’ai présenté des conférences basées sur mes recherches dans divers colloques à Montréal et à Sherbrooke, mais aussi à l’Université Berkeley en Californie.
Je me passionne pour l’enseignement: j’ai donné des cours de français langue seconde à l’Université de Sherbrooke comme auxiliaire d’enseignement pendant presque 5 ans. J’ai toujours été très politisée, mais mon intérêt pour la politique s’est décuplé quand j’ai été élue vice-présidente externe en 2013, puis présidente en 2014, du REMDUS, l’association des cycles supérieurs de l’UdeS. J’ai siégé durant cette période à la TaCEQ, la Table de concertation étudiante du Québec, et j’ai été déléguée au Sommet sur l’enseignement supérieur organisé par le gouvernement péquiste de l’époque.
Je me suis d’abord impliquée dans les enjeux de diversité sexuelle à la suite d’une vaste enquête que j’ai menée sur la condition de vie des étudiants LGBT à l’UdeS, desquels je faisais partie en tant que pansexuelle. Si je revendique cette partie de mon identité aujourd’hui, j’avais de la difficulté à en parler quand j’étais au bac, et des témoignages de membres de l’Association pour la diversité sexuelle et de genre à l’Université de Sherbrooke faisaient état de préoccupations similaires, allant de l’invisibilité jusqu’à la peur.
L’enquête a mené à la mise en place de deux campagnes de sensibilisation, « Vrais mots, vrai monde » et « Campus pluriel ». C’est pour inaugurer ces campagnes qu’en 2013 j’ai fondé “Fière la fête, la célébration de la diversité sexuelle en Estrie”, notre fierté sherbrookoise, que j’ai ensuite piloté et coordonné pour les trois premières éditions. Finalement, j’ai été une bénévole active au GRIS Estrie durant sa première année d’activité, et cet automne je vais suivre la formation pour devenir formatrice au sein de l’organisme.
/ De quelle manière votre nouvelle position au Conseil Québécois LGBT se différencie-t-elle de vos anciennes implications?
En fait mon nouveau poste réunit deux choses que j’ai particulièrement adoré de mes implications, c’est-à-dire, la politique et l’activisme. Mon rôle au Conseil Québécois impliquera beaucoup de représentation au gouvernement, mais surtout beaucoup de concertation à travers les différents organismes LGBTQ+ au Québec. À mon avis la grande différence avec mes expériences d’avant, c’est que je vais pouvoir mettre de l’avant les initiatives, les projets et les enjeux qui se passent à travers tout le Québec, pas seulement en Estrie… Quoique l’Estrie ai une place particulière dans mon coeur!
/ Quels sont vos modèles, les personnes qui vous inspirent?
À cause de ma formation, beaucoup de mes modèles sont à la fois littéraires et politiques. Je suis une grande admiratrice des québécoises ayant milité pour les droits des femmes, comme Micheline Dumont par exemple, mais j’avoue avoir une affection particulière pour les professeur.e.s et les théoricien.ne.s que j’ai lu et relu pendant ma maîtrise, comme Isabelle Boisclair et Martine Delvaux ici au Québec, Pat Califia et Judith Butler aux USA et Virginie Despentes et Wendy Delorme en France. Ce qui les rend admirables, pour moi, c’est leur capacité à vulgariser leur savoir et à prendre la parole. J’ai aussi un faible pour plusieurs auteur.e.s et poètes qui abordent les questions de l’intime, du queer et du corps d’une manière absolument sublime, comme Adam Thirlwell, Josée Yvon ou Ali Smith. À ce sujet, je suis en train de lire une bande-dessinée fantastique qui s’appelle « Bitch Planet » et qui parle de diversité sexuelle, de féminisme et d’intersectionnalité… C’est le genre de chose qui est tellement parfait que j’aurais voulu l’écrire moi-même!
/ De quelle manière les gens impliqués dans le monde LGBT s’entraident?
Je pense que toutes les personnes impliquées dans la défense des droits des minorités sexuelles ont un but commun: que leurs identités, leurs désirs et leurs corps soient reconnus comme légitimes, entiers et beaux. Je pense que le défi c’est qu’en-dehors de ce but, nos idées et nos actions militantes diffèrent grandement! L’acronyme LGBT est même déjà rendu désuet, compte tenu de l’ensemble des identités et orientations sexuelles qui devraient être incluses dans nos luttes. Étant donné qu’on est toujours mis dans le même bateau, c’est certain que chacun aura envie de tirer son bout de la couverture pour être visible. Mais je pense que depuis plusieurs années, l’entraide s’est beaucoup montré le bout du nez, parce que les gens reconnaissent les expertises des uns et des autres: je pense à LSTW qui s’est associé avec Équipe Montréal pour leur comité femmes, à Fierté Montréal qui a coaché Fière la fête en 2014, aux 3 organismes jeunesse LGBT qui se sont regroupés sous le toit de l’Astérisk… C’est des initiatives tellement payantes pour tout le monde. Je pense que ça ne fait que commencer.
/ Avez-vous des projets ou initiatives pour le Conseil dont vous pouvez déjà nous parler brièvement?
Le Conseil a déjà monté beaucoup de projets dans les dernières années pour que les enjeux LGBT soient pris en compte par nos élu.e.s! D’ailleurs, le Gala Arc-en-ciel du CQ-LGBT aura lieu ce vendredi 6 novembre, et c’est une des rares occasions que nous avons pour montrer à tout le Québec (et au gouvernement, du même coup!) ce qui se passe à l’échelle provinciale pour les personnes LGBT.
Un projet que j’aimerais faire dans les prochaines années ce serait de faire une vaste enquête sur les ressources disponibles dans les régions éloignées du Québec, et mettre en marche des actions pour que les manques soient comblés. Quand je pense qu’à Sherbrooke (la 6e plus grande ville au Québec!) il n’y avait aucun organisme dédié aux enjeux LGBT avant que le GRIS ne soit fondé l’an dernier, je n’imagine même pas comment c’est d’être un jeune en questionnement à Sept-Îles ou à Val d’Or. Toute la responsabilité de l’éducation sexuelle retombe sur les individus (enseignant.e.s ou intervenant.e.s) ou sur les services de santé, et ils sont déjà surchargés de travail!
/ De Sherbrooke à Montréal, qu’est-ce qui vous manquera le plus de Sherbrooke?
Sherbrooke c’est comme mes pantoufles: y’a clairement rien de plus confortable et fluffy. En fait c’est un grand village: tout le monde se connaît, on a nos personnages excentriques, nos figures emblématiques, nos lieux préférés… Il manquait juste un cinéma vintage dans la librairie du centre-ville et j’me serais crue dans Gilmore Girls. À part l’omniprésence de la nature, ce qui va me manquer le plus c’est les gens, le réseau de personnes fantastiques que j’ai bâti au fil des années grâce à l’Université et à Fière la fête. Faudra voir si j’arrive à faire pareil à Montréal, quitte à convaincre quelques Sherbrookois.es de me suivre!
/ Un souhait pour l’avenir des communautés LGBT au Québec? À l’international?
J’ai envie que nos gouvernements se rendent compte que la sensibilisation, la démystification et la santé des minorités sexuelles c’est un investissement à long terme. Protéger et valoriser les jeunes qui se questionnent, offrir de l’information qui challengent nos perceptions, c’est pour moi la seule route possible pour que la population québécoise s’épanouisse à son plein potentiel.
Sur une note plus personnelle, ces temps-ci je pense beaucoup au fait que nombreux des stigmates et des oppressions subies par les personnes LGBT sont issues d’une dévalorisation de tout ce qui est vu comme « féminin », quelque chose que j’ai appris pendant mon bac, mais que je vois à l’oeuvre quotidiennement. J’ai hâte qu’on passe à autre chose que le système binaire dans lequel on baigne, où le mélange des genres est vu comme la pire des transgressions.
Quant à l’international, on n’est même pas rendus à parler de cette recherche d’égalité sociale: on lutte contre de la violence physique, brutale et institutionnalisée. Dans la pyramide des besoins humains, et, par extension, des persécutions endurées, il faudrait commencer par s’assurer de la sécurité physique de notre communauté: je sais que ces luttes sont en cours, mais c’est encore insuffisant, et le Canada doit être un acteur de changement en ce sens.
Par Florence Gagnon