Sur scène, Sarah Laurendeau assure. Dans Normal, pièce écrite par Jean Philippe Lehoux, la comédienne schizophrène incarne un barbier, une chanteuse de jazz ou encore une DJ sadomasochiste. En moins d’une heure et demie. Rien que ça. Lorsqu’elle se confie à LSTW, c’est avec décence et introspection.
Entrevue
/ En septembre, tu étais de la distribution de Normal. Tu y interprétais plusieurs personnages tout en étant DJ. Est-ce que c’est prenant d’incarner diverses personnalités en 1h15?
Pour moi, c’est plus drainant de jouer un rôle très émotionnel où tu dois soutenir la même chose sans être plate, en étant toujours juste. Normal c’est comme une chorégraphie où je switch tout le temps de mouvement. Le plus difficile, c’est la partie technique avec la musique. Je dois rester dans mon personnage tout en étant concentrée sur le son. Le public ne doit pas sentir que je travaille, il faut que ça ait l’air fluide et pas « rushant ».
/ Est-ce que les réactions du public ont un impact direct sur ton jeu?
Quand un public se tape sur les cuisses, ça énergise. Il y a une énorme différence quand le public est à fond. Ça entraîne les autres aussi, qui suivent et ne se retiennent pas. Si personne ne rit, alors ceux qui aimeraient n’osent pas. Quand quelqu’un rit, on le voit, on l’entend ; mais quand quelqu’un s’emmerde ou est attentif, le son est le même. C’est déstabilisant quand les gens sont moins réactifs, surtout dans une comédie.
/ Est-ce que tu lis les critiques? Le Devoir dit par exemple que tu es « désopilante ».
Haha, oui je l’ai lue celle-là! Je lis les critiques car je suis consciente du métier que je fais mais je ne les cherche pas. Je me sens comme une petite fille contente, ça fait du bien. C’est comme si ça valait plus parce que c’est Le Devoir qui l’a écrite.
/ Est-ce que tu vas chercher les metteurs en scène ou ils viennent à toi?
J’ose les contacter, ouais. Je les invite à mes spectacles, « j’aime ce que tu fais, viens me voir! » Je me dis qu’ils ont autant d’avantages à travailler avec moi que moi de travailler avec eux. C’est important de réussir à se dire ça selon moi. Mais par exemple pour Normal, c’est Philippe Lambert, le metteur en scène, qui nous a mis en contact Jean Philippe et moi.
/ Est-ce que tu joues à l’étranger?
Oui, je suis allée en France trois fois déjà. Au mois de mai, j’étais en Basse-Normandie, à Vire. J’ai dû remplacer une actrice et apprendre une pièce remplie de monologues en un mois. J’étais découragée au début. J’ai du mal à mémoriser. J’écris à la main pour retenir, je me fais des petits dessins. Je m’enregistre aussi. On a fait trois ou quatre répétitions seulement. C’était un gros défi et je l’ai réussi. C’était un spectacle très exigeant, sur le deuil. Je fais de plus en plus de gros rôles et je réalise que c’est vraiment un métier, je ne peux plus arriver aux répétitions avec des textes pas sus, je dois être préparée.
/ Donc il y a des rôles plus complexes à jouer pour toi?
Oui, certains sont des défis. Dans Les Voisins par exemple, je jouais le rôle d’une ado, je ne devais pas tomber dans la caricature de l’adolescente. Je me trouvais toujours trop intense. Dans une autre pièce, j’ai dû interpréter une actrice méprisante. C’est important de ne pas juger le personnage que l’on incarne mais de comprendre pourquoi il est comme ça. Je pense que mon métier influence un peu ma vie également, j’essaie de comprendre pourquoi les gens agissent de telle ou telle manière, sans les juger.
/ Qu’est-ce qui te terrorise dans ton métier?
Apprendre beaucoup de texte! Je suis créatrice dans le mouvement, dans l’improvisation. Et quand tu ne sais pas ton texte, tu es bloquée dans ta liberté d’expression et de création. Je suis bien dans l’émotion mais la mécanique d’apprentissage, c’est à l’opposé de ce que je suis. M’asseoir, rester statique et retenir. Il n’y a pas mille façons de faire, il faut que tu le fasses.
/ Parle-nous un peu de la prochaine pièce dans laquelle tu vas jouer, Table Rase.
Je joue avec cinq filles du conservatoire. Le projet et les personnages nous sont venus en enregistrant nos propres conversations. La pièce est jouée en temps réel, tout se passe le temps d’un souper entre amies. La scène sera en bi-frontale*. La pièce parle du suicide assisté, ce qui amène les personnages à faire table rase de leurs vies respectives.
/ En janvier, tu vas jouer dans Coco, dont LSTW est partenaire!
Je ne sais pas vraiment ce que je peux dire ou ne pas dire encore sur la pièce! C’est le projet de Nathalie Doummar. Au départ, c’était avec les mêmes comédiennes que Table Rase mais, comme il y avait des similitudes dans le scénario, involontaires bien entendu, il y a eu un changement de casting. Mais moi je suis restée! Je joue une femme homosexuelle dans la pièce. Quatre amies se réunissent dans un chalet après la mort de leur amie Coco. Elles évoquent leurs vies de femmes trentenaires d’aujourd’hui et il y aura des flash-back de leur jeunesse aussi. Dépêchez-vous si vous voulez des places, le spectacle est en janvier et beaucoup de billets sont déjà vendus!
/ Est-ce qu’on te propose souvent des rôles de personnages lesbiens?
Jusqu’à maintenant, j’ai seulement eu à jouer deux personnages lesbiens, dans Coco et dans une pièce qui s’appelle Appartement B. Une de mes peurs serait qu’un jour, on ne me propose que des rôles de personnages lesbiens. D’ailleurs, lors d’une des représentations de Appartement B, ma mère était dans le public. Mes frères venaient de faire leur coming out et à ce moment, moi j’avais un béguin pour une fille. Je ne voulais pas bousculer ma mère émotionnellement alors je me souviens lui avoir expliqué que c’était de la fiction, que ce n’était pas moi mais mon personnage qui était homosexuel dans la pièce.
/ Tu vas également jouer dans une web série, SHARP!
Je suis très excitée à l’idée de ce tournage! Il y aura 8 épisodes de 6 minutes. C’est le projet de Julien Hurteau, que je connais également du conservatoire. L’un des personnages, Jérémie, a monté son agence de pub et moi je suis son associée. J’ai appris pas mal de termes techniques, il y a un peu de jargon qui touche au monde de la publicité, des réseaux sociaux, etc…
/ Quelles sont les différences entre jouer sur scène et face caméra?
J’ai moins d’expérience devant la caméra, je suis plus à l’aise sur scène. Devant une caméra, tu es limité par le cadre donc il y a moins de gestuelle. Il faut savoir être simple mais pas comme au quotidien. Être allumé mais pas trop expressif, sinon ça devient caricatural. La ligne est mince!
*Deux gradins de public se font face avec le plateau, le décor, au centre.
SHARP
https://vimeo.com/121037474
COCO: http://on.fb.me/1lUory3
Par Fanny Dupond