L’édition 2015 du Festival Nuits d’Afrique de Montréal a mis à l’honneur plusieurs artistes féminines à l’identité très affirmée. Parmi elles, Veeby, une jeune camerounaise à la voix chaude, enivre par sa musique «hybride» et séduit par son engagement féministe.
Entrevue
1- Depuis de nombreuses années, tu travailles dans le social – au profit des jeunes et en relations interculturelles – qu’est-ce qui t’a mené à la musique?
Je suis née comme ça. Il y a des choses dans la vie, tu sais que tu dois les faire. J’ai commencé à chanter à l’âge de 12-13 ans avec un band dans les concerts scolaires dans les collèges au Cameroun. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler la scène, la chanson. J’ai fait de la chorale aussi et petit à petit j’ai trouvé mon style. Ça fait à peu près une dizaine d’année que je suis dans le paysage musical québécois. J’ai beaucoup travaillé dans le hip-hop, avec des rappeurs, à faire des voix, des chœurs.
Quand j’ai eu ma fille, j’ai passé un an à la maison, j’ai écrit des textes, j’ai composé et au lieu de garder ça dans un placard, je me suis dit que j’étais capable de faire quelque chose que j’ai envie de faire et de mettre mes textes en chanson. Je me suis lancée. Ça été ça le déclic pour lancer mon premier album, il y a environ 3 ans. J’y ai réuni un peu toutes les influences qui me représentaient et, depuis, je tourne à travers le Québec et d’autres pays pour faire découvrir ma musique.
2- Arrivée du Cameroun à l’âge de 16 ans, tu as vécu au Québec ces 15 dernières années. Comment fais-tu cohabiter ta double identité dans ta musique?
Moi je me considère comme un hybride. Je suis très influencée par la musique Gospel, RnB, Soul, Hip-Hop qui ont fait mon identité de nord-américaine. Mais je suis toujours restée ancrée dans la tradition africaine qui définit mes origines. Je décris ma musique comme de l’Afro-soul. Ma musique n’est jamais à 100% urbaine ou africaine ou artisanale. Elle est toujours teintée de quelque chose, de références à mes traditions d’Afrique Centrale. Ça peut-être la langue que je parle ou un instrument de musique qui vient de chez moi. Dans ma musique, je recherche l’équilibre entre l’ici et l’ailleurs. Et c’est ce que je suis profondément : une diasporienne, quelqu’un qui est des 2 côtés.
3- Quelles sont les thématiques qui te tiennent à cœur?
Au travers de ma musique, j’ai un petit côté féministe engagée. J’ai beaucoup à cœur la cause des femmes, leur place dans la société. J’ai envie de les valoriser, surtout dans la société africaine. Parce qu’on vit dans un monde souvent très macho et les femmes reçoivent très peu de reconnaissance pour les actions qu’elles mènent.
De façon générale, je suis profondément contre toutes les injustices sociales. Que ce soit en termes de race, de sexe ou d’âge, on doit respecter l’égalité des chances de tous. Je parle beaucoup des femmes parce que, souvent, la première forme d’entrave à l’égalité des chances c’est par le sexe. Je me bats aussi beaucoup contre les violences sexuelles faites en zones de guerre où le viol est utilisé comme arme de guerre.
J’ai fait une chanson le 8 mars dernier contre les viols des femmes en République Démocratique du Congo. Ce sont des choses qu’on ne dit pas à la télé ou dans les médias mais que, moi, je dis dans mes chansons.
4- Comment as-tu été sensibilisée à ces questions?
Ça vient beaucoup de mon vécu. Je viens d’une famille où nous sommes majoritairement des femmes et quand je regarde comment la société se comporte avec nous quand on mène des actions, quand on veut travailler… C’est très difficile de faire de la musique quand on est une femme africaine, de faire de gros projets quand on est une femme noire, quand on est une femme jeune. Dans notre culture, une femme doit être à la maison, s’occuper des enfants… donc quand on commence à faire des spectacles, notre entourage a l’impression qu’on devient une mère indigne, qu’on n’est pas assez présente.
Alors que je fais tout pour conserver un bon équilibre de vie pour ma fille de 4 ans. J’ai arrêté d’essayer de convaincre les gens. Parce qu’à trop vouloir les convaincre, on se change soi-même et on devient quelqu’un qu’on n’est pas. Le plus important pour moi c’est d’être véridique et authentique dans la musique que je fais. Tant que je ne nuis à personne et que je ne fais rien de mal, je n’ai aucune raison d’arrêter.
5- Est-ce que tu penses qu’il y a toujours des luttes à mener pour les femmes au Québec?
Complètement! Ce que je trouve toujours drôle, c’est que le féminisme occidental est très déclaré, affirmé. Mais c’est peut-être celui qui a gagné le moins de lutte. Il n’y a toujours pas d’égalité salariale, toujours pas de parité au niveau de la représentation des femmes dans les entreprises, dans les postes de décision. Ça commence à aller beaucoup mieux mais finalement il y a peu d’avancées. Alors que dans le féminisme que j’observe en Afrique – et c’est mon analyse personnelle, je ne suis pas une spécialiste – il y a une forme de revendication plus discrète mais qui permet d’avoir beaucoup plus de résultats à moyen et long terme.
Par exemple, en Afrique, ce sont les femmes qui gèrent les coopératives, qui tiennent la bourse, qui décident de l’éducation des enfants. Bref, les femmes ont un rôle important, qu’elles ont obtenu, le plus souvent, en faisant croire aux hommes que c’est eux qui décidaient. C’est un type de féminisme beaucoup moins déclaré, qui ne nous permet pas d’être au-devant de la scène mais qui donne des résultats efficaces. Nos victoires sont importantes même si elles sont discrètes. La cause des femmes au Québec, on en parle beaucoup mais on a encore beaucoup de choses à aller chercher.
6- Est-ce que la question de l’orientation sexuelle c’est aussi un sujet qui t’interpelle?
Pour moi, la question de l’orientation sexuelle c’est une question de discrimination comme une autre. Je ne fais pas de hiérarchie. Je considère que si tu te bats contre le racisme ou pour l’égalité des sexes, tu ne peux pas accepter une autre forme de ségrégation. Tous les combats se valent. Je me suis rendue compte que le point commun de toutes les discriminations, au-delà de la race ou autre, c’est vraiment le genre.
En faisant avancer une cause, on finit forcément par toucher les autres. J’ai toujours pensé que personne ne mérite d’être humilié ou isolé pour quelque chose qu’il n’a pas choisi d’être. On ne choisit pas d’être homosexuel, d’être noir ou d’être femme. Donc personne n’a le droit de nous dire que ce n’est pas bien. Et ça vaut la peine de se battre.
Par Claire Gaillard