Le viagra féminin alias le Addyi a fait son apparition sur le marché américain le 17 octobre 2015. On ne sait pas encore s’il faut s’en réjouir ou s’en méfier. Tentatives d’éclairage en compagnie de Jean-Claude Piquard, sexologue clinicien et auteur de La Fabuleuse histoire du clitoris.
1/ Quels sont les effets recherchés et quels sont les effets réellement produits par le viagra sur le désir mais aussi sur le corps féminin? Qu’en est-il des effets sur le clitoris?
L’Addyi est un médicament destiné à lutter contre la baisse de la libido des femmes non-ménopausées, il est disponible aux États-Unis depuis le 17 octobre 2015. Si le Viagra destiné aux hommes rétablit l’afflux sanguin dans le sexe et permet de réparer la plomberie défaillante du pénis, il n’a aucun effet sur le désir sexuel. L’Addyi, lui, est totalement différent : il agit sur le cerveau, principal siège de la libido, son action est ciblée sur les neurotransmetteurs. D’où la création d’une augmentation de la dopamine (hormone du désir) et une diminution de la sérotonine, une sorte de « gendarme » qui n’autorise pas les plaisirs charnels. L’Addyi doit être pris quotidiennement et l’augmentation du désir n’apparait qu’après un mois de traitement, c’est le temps nécessaire pour une réponse des neurotransmetteurs. Son taux d’efficacité reste mal connu mais serait faible, inférieur à 25%. Notons qu’aucun article sur l’Addyi ne parle du clitoris ! Or la baisse du désir sexuel pour les femmes qui ne connaissent par leur clitoris est beaucoup plus importante que pour leurs consœurs qui savent en jouir…
2/ D’après vous, le viagra féminin constitue-t-il une avancée pour la société ou au contraire, un moyen supplémentaire de réduire les femmes à des êtres forcément désirantes/désirables?
L’Addyi devrait aider les femmes qui souffrent d’une forte baisse de leur libido. L’Addyi ne devrait pas être prescrit aux femmes en quête de soirées folles ou de performances, d’autant plus qu’il n’agit qu’au bout d’un mois de traitement. La situation est plus délicate lorsque des femmes souhaitent doper leur libido pour s’adapter à leur partenaire. Le rôle du prescripteur sera évidemment de bien comprendre la situation de sa patiente et d’évaluer la pertinence d’un éventuel traitement. Certains hommes craignent parfois que des femmes trop désirantes fassent vaciller l’ordre social : cela en dit long sur leur phallocratie… Quoiqu’il en soit, l’Addyi est un médicament, il ne devrait être prescrit qu’aux femmes en détresse de désir sexuel.
3/ Quels sont les effets secondaires ou les risques provoqués par cette pilule miracle?
L’Addyi induirait des effets secondaires chez environ 10% des femmes : baisse de tension avec étourdissement, fatigue, nausées… Il y a aussi une forte contre-indication à consommer de l’alcool lorsqu’on suit le traitement.
4/ Quel est le public ciblé par le viagra féminin? (vieilles, jeunes, hétéros, lesbiennes, etc)
Comme je l’ai dit, l’Addyi est destiné à lutter contre la baisse de la libido des femmes non-ménopausées, cela représente environ 10% d’entre elles. Pourtant, la prévalence des troubles du désir sexuel est plus importante pour les femmes ménopausées, environ 30%, et elles sont exclues de ce traitement. Notons que seules les femmes susceptibles d’enfanter peuvent être traitées. Est-ce une séquelle de la toute puissante idéologie nataliste du 20ème siècle? La question reste ouverte.
5/ Aux femmes qui hésitent à prendre du viagra, quel conseil donneriez-vous?
Face à une absence caractérisée de désir, il faut d’abord écouter le souhait de la femme. D’une part, la libido ne se met jamais en place pour environ 1% des personnes des deux sexes, ce sont les asexuels, il serait alors mal venu de tenter de les normaliser. Ensuite, certaines femmes ont peu de libido et le vivent bien. L’Addyi concerne les femmes qui souffrent d’une absence de désir. Le traitement est là pour soulager leur souffrance et leur permettre de retrouver une vie de femme dans les champs sensuels, sexuels et amoureux.
Par Daisy Le Corre